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« Kissinger était-il cet oracle géopolitique infaillible dont il faudrait maintenant honorer la mémoire et suivre l’exemple ? »

Du président chinois, Xi Jinping, à Emmanuel Macron, en passant par leurs homologues russe et ukrainien, Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky : ces dernières années, la plupart des dirigeants internationaux, à commencer par les chefs d’Etat américains, se sont pressés pour rencontrer Henry Kissinger, disparu mercredi 29 novembre, à l’âge de 100 ans, afin d’écouter ses analyses et ses conseils.
Avaient-ils raison ? Kissinger était-il cet oracle géopolitique infaillible dont il faudrait maintenant honorer la mémoire, suivre l’exemple et lire les œuvres ? On peut se poser la question : il a soutenu la guerre en Irak de George W. Bush en 2003, quand d’autres stratèges américains, comme Zbigniew Brzezinski (1928-2017) ou Brent Scowcroft (1925-2020), s’y sont opposés.
En 2015, il a critiqué le salutaire accord international sur le programme nucléaire iranien pour finalement éreinter la décision de Donald Trump de s’en retirer en 2018. Plus récemment, il a pris position en faveur de l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, après l’avoir déconseillée pendant longtemps, et ne semble pas avoir perçu la dérive mortifère de M. Poutine.
Pendant ses années (1969-1975) en tant que conseiller à la sécurité nationale à la Maison Blanche, puis en tant que secrétaire d’Etat (1973-1977), il a pris ou appuyé des décisions aux conséquences humaines effroyables, notamment l’extension de la guerre du Vietnam au Cambodge voisin (1969), le soutien au Pakistan dans sa répression des rebelles du Bangladesh (1971) ou l’appui secret au renversement d’un gouvernement démocratiquement élu au Chili (1973). Et si la realpolitik qu’il professait pouvait fournir une couverture ou une explication, il est difficile d’y trouver une justification : ces trois exemples étaient des fautes autant que des crimes.
L’admiration pour Kissinger et l’aura dont il bénéficie proviennent essentiellement de la fusion réussie entre la théorie et la pratique de la diplomatie, entre scholarship et statesmanship, même s’il y entre une part de mystification.
Reprenons le fil de l’histoire. Quand commence la guerre froide, en 1947, la doctrine diplomatique de l’Amérique hésite entre trois approches : l’isolationnisme, l’idéalisme et le pragmatisme. Mais le défi global que présente bientôt l’URSS réclame une pensée stratégique bien plus solide, et c’est dans l’« université de guerre froide », arrosée de financements fédéraux, qu’elle va naître, notamment à Harvard, autour de jeunes gens venus d’Europe et marqués par la seconde guerre mondiale : l’Allemand Kissinger, qui avait fui la persécution nazie des juifs en 1938, mais aussi le Polonais Zbigniew Brzezinski, ou encore le Français Stanley Hoffmann (1928-2015), qui enseigna longtemps un cours avec Kissinger avant de se brouiller avec lui autour de l’affaire du Cambodge.
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