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« Il est urgent de reconstruire le socle de la démocratie académique »

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Triste jour pour l’université française ! Le 8 février, le tribunal administratif de Grenoble a dû annuler les élections aux conseils centraux de l’une de ses dix meilleures universités.
Pour le tribunal, le président de l’université Grenoble-Alpes (UGA), candidat à sa réélection, a diffusé largement un message comportant « un contenu très critique et des accusations personnelles [contre son rival] pour orienter le vote… [Ce message], qui désignait les listes susceptibles de soutenir son adversaire, a porté atteinte à l’égalité entre les listes candidates. A raison du rôle de garant du processus électoral de son auteur comme de la diffusion de ce message, il est de nature à avoir altéré la sincérité du scrutin ».
Il faut saluer cette victoire pour la justice… mais reconnaître une défaite catastrophique des institutions chargées de prévenir et de traiter les manquements à la déontologie du monde académique : cet épisode désolant pour l’UGA révèle aussi et surtout leur immaturité et leur hypocrisie systémiques.
Depuis Locke et Montesquieu, les concepteurs de systèmes de gouvernance de la vie publique ont eu à cœur de séparer les pouvoirs, et en particulier la fonction « exécutive » (mettre en œuvre les règles) et la fonction « juridictionnelle » (régler les litiges). Il est incontestable que le président d’une université dispose du pouvoir exécutif.
Malheureusement, il dispose aussi d’un pouvoir juridictionnel considérable, que rappelle le vademecum pour le traitement des manquements à l’intégrité scientifique. Non seulement c’est lui qui qualifie les possibles manquements et décide d’investigations, mais, surtout, c’est lui qui décide des suites à donner à ces investigations.
En pratique, l’impunité du président est donc garantie, même si ses manquements sont officiellement reconnus : il faudrait qu’il demande lui-même à la ministre de le traduire devant une instance disciplinaire ! Ainsi, à Grenoble, des manquements des deux derniers présidents et des plus hautes instances universitaires locales, aussi graves que ceux qui ont conduit à l’annulation des élections, ont d’abord été niés pendant des années.
L’une des instances chargées d’instruire ces manquements était présidée par la personne mise en cause, ce qui n’a choqué aucun des représentants des institutions prestigieuses siégeant dans ce comité. La reconnaissance, en 2020, de ces manquements par trois chercheurs de renom extérieurs à Grenoble, puis par le collège de déontologie du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et enfin leur condamnation par un tribunal en 2021 n’ont donné lieu à aucune conséquence pratique.
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